De l'importance de distinguer les propos deffamatoires de propos injurieux

Par un arrêt rendu le 15 février 2013, l’Assemblée plénière de la cour de cassation interdit le cumul de qualifications en matière de délits de presse. Des mêmes faits ne peuvent être poursuivis à la fois au titre de la diffamation et de l’injure et ce, même s’ils figurent dans des commentaires distincts, publiés à des dates différentes.

En l’espèce, un internaute a fait état sur le forum du site « Au féminin.com » de pratiques commerciales malhonnêtes d’un médecin, fondateur d'un centre spécialisé dans l'épilation au laser.

Parmi les propos rapportés, on peut y lire « Je dénonce les pratiques commerciales malhonnêtes… », « il faut mettre fin à ces abus commerciaux qui ne sont pas dignes d'un médecin qui n'est autre qu'un business man » ou « … 55 av. Marceau : à fuir !!!! ».

Le médecin et le centre assignent l’internaute, confrère au demeurant, et le site internet sur le double fondement de la diffamation et de l’injure.

La diffamation se différencie de l’injure par l’imputation de faits précis contraire à l’honneur ou la considération.

Ces délits de presse ne peuvent être poursuivis, pénalement ou civilement, que selon des règles strictes édictées par la loi du 29 juillet 1881. Parmi ces dispositions, l’article 53 indique que « La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite. (….) Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite. »

L’assignation délivrée par le médecin et le centre devait donc préciser et qualifier les faits incriminés. Il ressortait de l’assignation du docteur délivrée en date du 14 juin 2007 que les propos « je dénonce les pratiques commerciales malhonnêtes... » et « il faut mettre fin à ces abus commerciaux qui ne sont pas dignes d'un médecin qui n'est autre qu'un Business Man » étaient poursuivis à la fois comme diffamation et comme page 9.

Le juge de la mise en état a annulé cette assignation dans son ensemble en raison de son « imprécision ». La cour d’appel de Paris a confirmé la décision rendue par le juge de première instance.

La première chambre civile de la cour de cassation est saisie par le médecin et le centre. Par un arrêt du 8 avril 2010, celle-ci décide que « satisfait aux prescriptions du texte précité [article 53] la citation qui indique exactement au défendeur les faits et les infractions qui lui sont reprochés, et le met ainsi en mesure de préparer utilement sa défense sans qu'il soit nécessaire que la citation précise ceux des faits qui constitueraient des injures, et ceux qui constitueraient des diffamations ».

(Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, 8 avril 2010, pourvoi n° 09-14399)

L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris autrement composée. Celle-ci persiste en confirmant à nouveau l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état.

Un nouveau pourvoi est interjeté par le médecin et le centre. La première chambre civile décide de renvoyer l’affaire à la formation la plus solennelle de la cour : l’Assemblée plénière.

Par un arrêt du 15 février 2013 dénué de toute ambiguïté, cette formation juge que « selon l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui doit recevoir application devant la juridiction civile, l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu'est nulle une assignation retenant pour le même fait la double qualification d'injure et de diffamation » ;

Elle ajoute « qu'ayant constaté que des propos identiques ou quasiment identiques, même figurant pour certains dans des commentaires publiés à des dates distinctes, se trouvaient poursuivis sous deux qualifications différentes, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans encourir les griefs du moyen, que ce cumul de qualifications étant de nature à créer pour les défenderesses une incertitude préjudiciable à leur défense, l'assignation était nulle en son entier ; »

Si cette solution s’explique d’abord par les particularités procédurales applicables aux délits de presse, que sont notamment la diffamation et l’injure, elle se justifie surtout au regard de la liberté d’expression.

Le défendeur peut échapper à la condamnation sur le fondement de la diffamation à condition qu’il prouve la vérité des faits dans un délai de dix jours à compter de l’assignation (article 55 de la loi de 1881). Or, s’il ignore si une diffamation ou une injure lui est reprochée, il ne peut utilement pourvoir avec célérité (dix jours) à sa défense.

Mais la cour de cassation fait surtout preuve de rigueur afin de préserver la liberté fondamentale que constitue la liberté d’expression.

Cette décision constitue en tout état de cause une invitation à la plus grande prudence dans la rédaction de l’assignation fondée sur des délits de presse.

Cour de Cassation, Assemblée Plénière, 15 février 2013, pourvoi n°11-14637

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